mardi 4 novembre 2008

L'Auberge en 1910 .....

En 1910, l’établissement, beaucoup plus modeste, que l’actuelle auberge, s’appelait tout simplement « hôtel de la pomme d’or ». C’est du moins ce que j’ai pu déchiffrer par la suite sur l’enseigne rouillée qui, par les soirs de tempête, troublait mon sommeil. Selon l’antique formule on y logeait à pied et à cheval ; c’était d’ailleurs assez rare. Quant à la pomme d’or, elle restait invisible !
Les hôteliers n’avaient pas d’enfant, c’est vous dire que j’étais toujours bien accueilli. Je me revois assis devant la vaste cheminée où brûlaient d’énormes bûches de pommier pendant que sur la longue et épaisse table de chêne claquaient les dominos. J’accompagnais parfois l’hôtesse dans les chambres, disposées de part et d’autre d’un corridor fort sombre ; deux surtout retenaient mon attention : celle située au-dessus de la grande salle ; elle contenait trois ou quatre lits et servait en cas d’affluence, et une autre, espèce de geôle, que fermait une lourde porte grinçante. Sous les combles, couchaient dans la paille, au temps de Louis-Philippe et de Napoléon III, les rouliers fatigués.
L’hôtelier, bedonnant, pieds nus dans ses savates usagées et sans talons, était en même temps perruquier ce qui ne l’occupait guère que le samedi soir et le dimanche matin à raser les barbes d’une semaine. Tout comme l’épicier et mon père, il cultivait quelques hectares de prairies plantées de pommiers.
Il arrivait sans doute que les parties de dominos et les tournées de café arrosé se prolongent car je me souviens que je m’apitoyais sur le sort des chevaux attachés aux anneaux du mur et du trottoir où ils étaient attachés pendant des heures interminables sans même avoir accès à la mangeoire mobile garnie d’un picotin d’avoine.
En été, l’après-midi du dimanche réunissait aux abords de l’hôtel, sur le large trottoir mal nivelé, les joueurs de « galine », cylindre de bois supportant des pièces de monnaie que l’on essayait d’abattre au moyen de palets de plomb, cependant que dans la cour d’autres tentaient leur chance aux boules ou à la carambole.
En novembre, un étrange convoi s’arrêtait dans le village pour y passer la nuit : c’était une trentaine d’attelages de bœufs traînant des chariots à quatre roues qui, de Nassandres, s’en venaient par étapes chercher des betteraves sucrières dans la plaine de Caen ; leurs conducteurs qui savaient trouver à l’hôtel une vaste table rangeaient leurs attelages
Sur les bas-côtés de la route et dételaient leurs bêtes de trait qui, sous le joug, allaient se désaltérer à la grande mare avant de gagner leur crèche.

( extrait de : Souvenirs d’un petit villageois, La Boissière en 1910 - par Fernand Rault)

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